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La Consolata de Liliana Laganà


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La Consolata

de Liliana Laganá

Liliana Laganà a bien voulu livrer aux visiteurs d’italie1.com un magnifique texte de souvenirs, plein de pudeur, sur sa grand mère paternelle, originaire de Calabre. Ce texte admirable a gagné en 1992 le
premier prix du Centre International des études italiennes à l’université de Gênes.

Toutes nos félicitations et nos remerciements à Liliana Laganà et à son traducteur Cédric Batoli.

 

____________ LA CONSOLATA ____________
En mémoire d’une grand-mère de Calabre

 

de Liliana Laganá
Version française de Cédric Bartoli

Le texte intégral est reproduit dans les pages suivantes, avec autorisation des ayant-droits.
Reproduction interdite.

On l’appelait « la Consolata ». Elle habitait dans une maison à deux  étages, sur la rue principale du village. Au rez-de-chaussée, il y avait un local rempli de tonneaux de vin, de tables, de sièges, et une
réserve au fond. Un escalier de bois très raide conduisait au premier étage, où il y avait une cuisine et deux chambres. Depuis les fenêtres de ces deux chambres, on pouvait, chaque matin, voir le soleil se lever des monts de la Sila.
Elle était née et avait grandi dans ce village. Seule fille survivante, elle avait eu trois frères adoptifs que sa mère avait recueillis pour ne pas perdre le lait laissé par ses enfants morts. On l’avait mariée à
dix-sept ans, avec un appointé de gendarmerie. Bel homme, bon parti.
Ils pensaient l’avoir placée : elle aurait vécu tranquillement, disait-on.
Et au contraire, l’appointé n’aimait pas trop faire le gendarme.
C’était un homme d’aventures, et il vécu sa première grande aventure vers 1907, en partant pour l’Amérique, en laissant sa femme et ses trois fils tout petits. Il était revenu après deux ou trois ans. Avec l’argent gagné en Amérique – c’étaient des dollars et ça valait beaucoup – il ouvrit un magasin, dans cette rue principale du village, où l’on vendait de tout : du vin, de l’huile, des châtaignes, du pain.
La famille vivait plutôt bien : on travaillait beaucoup, mais on gagnait assez pour vivre dignement.
Et puis il y avait aussi l’usine de briques et de tuiles – la carcara – qui appartenait à la mère de la Consolata et où les enfants, même encore jeunes, allaient donner un coup de main. Et pendant ce temps la famille s’agrandissait : en 1920, la Consolata avait déjà huit enfants, dont deux jumeaux. En 1921, une autre grande aventure de l’ex-officier de gendarmerie l’emmena loin, et avec lui le plus grand fils de la Consolata, qui avait alors dix-sept ans et qui, comme son père, s’appelait Consolato.
Ils partirent pour le Brésil et ne revinrent jamais. Il y avait eu la guerre, il y avait eu la grippe espagnole et beaucoup n’avaient pas pu payer leur ardoise au magasin, et les affaires n’étaient pas bonnes.
Et puis beaucoup d’autres gens sont partis, juste après la guerre.
L’appel de l’Amérique était fort : on parlait d’une terre d’argent nommée Argentine, et d’une autre appelée Brésil, au sol rouge et fertile… Quand son mari partit, la Consolata était enceinte de sa
dernière fille.
Elle était encore jeune et belle femme, elle se retrouvait avec neuf enfants, la boutique de vin – tout ce qui restait du magasin – et le nom de Consolata, qu’elle héritait de son mari et il parait que dès
lors, au village, tout le monde oublia que son vrai nom était Teresa.
C’était tout un symbole, ce nom de Consolata. Et ça l’est toujours au village : le symbole d’une femme forte, courageuse, appréciée et crainte plus que si c’était un homme.
Elle a fait vivre la famille pendant des années, elle à la boutique, les enfants à la carcara. A la boutique, les hommes venaient jouer aux cartes, assis aux cinq ou six tables disposées dans le local, à coté des tonneaux de vin, sous les yeux vigilants et sévères de la Consolata, et celui qui perdait payait. Pendant des années, pas un seul souci à la boutique, pas une rumeur au village. Une discipline
rigoureuse, envers elle-même, envers ses enfants, envers la clientèle, envers tout le village.
On dit qu’elle se promenait avec une cravache sous son énorme tablier, et qu’elle frappait ses enfants, même grands, s’ils ne filaient pas droit. Et ses enfants, dès qu’ils se sentaient pousser des ailes, ils
prenaient leur envol. Dès qu’il fût majeur, ce fût le tour de mon père qui, fatigué de faire des briques, s’enrôla comme gendarme et partit pour Rome. En ne voulant plus servir sa mère, il parti servir la
patrie, en croyant, qui sait, qu’il serait plus libre ailleurs, loin de ces montagnes couvertes de bois.
Une des filles se maria et allât habiter à Reggio di Calabria. Une autre se maria avec un garçon qui partait pour l’Australie. Lui parti,
elle attendait son appel. Elle réussit à embarquer dans le dernier bateau en partance de Messine juste avant la déclaration de la seconde guerre mondiale, et pendant très longtemps, on n’a eu aucune nouvelle d’elle, on ne savait même pas si elle était arrivée ou non. Depuis le pont du navire, elle avait salué d’un grand signe de la main, et elle semblait heureuse. Peu importait de partir pour l’Australie ou l’Amérique pour ces gens habitués aux restrictions et aux difficultés d’une vie pas facile du tout. On aurait dit qu’ils vivaient dans l’attente de partir, et quand quelqu’un partait, cela remuait l’anxiété
de ceux qui restaient, ça rappelait le sentiment d’abandon, comme une sourde nostalgie de la terre promise de ceux qui se sentaient exclus.
Puis vint l’autre guerre, qui arracha à la Consolata trois fils qui vivaient encore avec elle, et qui eurent subitement entre les mains des canons à la place de briques. Les deux jumeaux et le plus jeune des
fils partirent du village.
Avec son autre fils, parti de Rome, quatre fils firent la guerre. Il n’en revint que trois. Le podestat et le maréchal allèrent donner personnellement à la Consolata la nouvelle de la disparition de Domenico, un des deux jumeaux, et les cris de la Consolata ont empli le village et tout le village cria avec elle. La guerre finie, deux fils de la Consolata retournèrent chez elle, mais pour peu de temps. Il y avait plus de maisons qui se vidaient dans le village qu’il ne s’en construisait et les briques et les tuiles ne servaient pas beaucoup.
Et puis l’appel de l’Amérique était revenu, comme un chant de sirène depuis cette terre lointaine, que l’on entendait à chaque lettre qui arrivait. Ils partirent eux aussi, les deux fils de la Consolata, l’un
après l’autre, le frère jumeau survivant, Pasquale, rejoint son père, qui s’était finalement établi à Montevideo ; le plus jeune, Carmelo, rejoignit son grand frère, établi à San Paolo au Brésil. Enfin, la plus – petite sÅ“ur, Marietta, décida de se marier elle aussi avec un qui partait pour l’Australie, et elle alla rejoindre sa sÅ“ur.
La Consolata resta au village avec une seule fille, Francesca, qui était mariée, mais qui vivait seule elle aussi, parce que son mari, comme le mari de sa mère, comme tant d’autres maris, était parti pour
l’Amérique et il n’était jamais revenu. La boutique désormais fermée, la Consolata vivait de la pension que l’Etat lui donnait pour la mort de son fils et de l’argent que ses enfants lui envoyaient depuis le
lieu où ils vivaient. Je l’ai connue à cette époque. Elle avait soixante-six ans, j’en avais treize.

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